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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/182

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vous demanderont par quel procédé chimique l’huile brûlait dans la lampe d’Aladin. Ils ont demandé à M. de Balzac ce qui serait advenu, si Raphaël eût souhaité que la peau de chagrin s’étendît !

Osez donc leur réciter de beaux contes ! enlevez-les, comme il faut qu’un bon narrateur le fasse, dans ce char d’Élie, dans cette narration aux ailes de feu et aux roues brûlantes, qui plonge dans le ciel et fait disparaître les villes, les maisons, les bois, les collines de l’horizon terrestre !

L’analyse, dernier développement de la pensée, a donc tué les jouissances de la pensée. C’est ce que M. de Balzac a vu dans son temps ; c’est le dernier résultat de cet axiome de Jean-Jacques : L’homme qui pense est un animal dépravé.

Assurément il n’est pas de donnée plus tragique ; car, à mesure que l’homme se civilise, il se suicide ; et cette agonie éclatante des sociétés offre un intérêt profond.

Le désordre et le ravage portés par l’intelligence dans l’homme, considéré comme individu et comme être social : telle est l’idée primitive qui règne dans les œuvres de Byron et de Godwin. M. de Balzac l’a jetée dans ses contes. Il a vu de quels éclatants dehors cette société valétudinaire s’enorgueillit, de quelles parures ce moribond se couvre, de quelle vie galvanique ce cadavre s’émeut et s’agite par intervalles, de quelle lueur phosphorique il scintille encore. Opposant au néant intérieur et profond du corps social cette agitation factice et cette splendeur funèbre, il a cru que la mission du conteur n’était pas finie et perdue ; qu’il y avait encore une magie dans ce contraste ; une féerie dans cette industrie créatrice de merveilles ; un intérêt dans le jeu cupide des ressorts sociaux, cachés sous de si beaux dehors, dans ce spectacle d’une société rendant le dernier soupir sous des rideaux de pourpre, d’argent et de soie.

Un conteur, un amuseur de gens qui prend pour base la criminalité secrète, le marasme et l’ennui de son époque ; un homme de pensée et de philosophie, qui s’attache à peindre la désorganisation produite par la pensée : tel est M. de Balzac.

Voilà sur quelles bases sont appuyés ces contes de nuances diverses, de formes variées, que M. de Balzac a osé lancer dans le dix-neuvième siècle, blasé, indifférent et peu amusable. Ce fonds misanthropique, qu’une verve de gaieté et une fécondité d’invention incontestables raniment et font étinceler, vous le retrouvez dans l’Auberge rouge, que la Revue de Paris a récemment publiée ; dans l’Élixir de longue vie, dans Sarrasine, dans la Comédie du Diable, farce terrible dont le fantastique Introït lui a été généreusement donné par une des plus mordantes plumes de notre époque. Mais cette pensée première s’élève jusqu’aux proportions de la tragédie dans El Verdugo, où le parricide est sublime, parricide ordonné par une famille et au nom d’une chimère sociale, le parricide pour sauver un titre ! Ainsi, partout l’égoïsme : égoïsme de la famille, égoïsme physique, personnalités féroces qui naissent d’une civilisation sensuelle et raffinée. Tel est spécialement le fonds et la pensée créatrice de la Peau de chagrin.

Rabelais, dans un autre temps, avait vu l’étrange effet de la pensée religieuse, qui, à force de pénétrer la société, achevait de la dissoudre. L’âme, divinisée par le christianisme, avait tout envahi. Le spiritualisme effaçait la matière. Le symbole,