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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/216

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Ces hautes vues philosophiques seront complétées par plusieurs autres études en germe dans la pensée de l’auteur, mais que son inépuisable verve aura peut-être fait éclore avant que nous ayons achevé nous-même ces pages arides où nous disséquons péniblement le génie le plus chaud, le plus vivace, le plus fécond de notre époque.

Dans notre désir de nous rendre compte à nous-même d’un ouvrage dont la portée effraye, et où la pensée se perd comme un voyageur s’égare dans le dédale des arcades d’une ville qui n’existe plus (comparaison juste pour une ville commencée qui n’existe pas encore, à la différence près des ruines aux constructions neuves), nous avions aperçu dans les Études philosophiques, telles que l’auteur nous les montre aujourd’hui, les traces d’une espérance qui vivifie ces désespérantes figures d’écorchés. Il nous semblait, si nous pouvons risquer cette image, qu’au sein de ces passions déchaînées et qui crient aussi puissamment que dans le final de Don Juan, une voix religieuse, et pleine de suavités, mystérieuse, mais consolatrice, dominait ces cris horribles et montait vers le ciel. En rassemblant dans la pensée ces cinq grandes poésies : l’Enfant maudit, les Proscrits, Louis Lambert, Jésus-Christ en Flandre et Séraphita ; en leur supposant quelques anneaux, quelques compositions intermédiaires, nous avons aimé à penser qu’à travers nos sentiments foudroyés par l’analyse l’auteur faisait courir un radieux rayon de foi, une mélodieuse métempsycose chrétienne qui commençait dans les douleurs terrestres et aboutissait au ciel. Nous l’avons demandé, non sans émotion, à l’auteur, et il nous a confirmé dans cette croyance par un de ces mots qui viennent de l’âme, qui révèlent un beau cœur. Donc, lorsque cet architecte aura fini d’agiter sa baguette magique, des lueurs divines éclaireront sa cathédrale, dont la destination sera double, comme l’est celle de ces beaux monuments du moyen âge en dehors desquels se pressent les passions humaines sous de fantastiques figures d’hommes ou d’animaux, tandis qu’à l’intérieur rayonnent les beautés pures de l’autel.

Faisons des vœux pour que la critique soit bienveillante à ce laborieux ouvrier, souhaitons que ni le découragement, ni la maladie, ni la misère ne lui arrachent des mains son outil créateur ; car nous l’aurons dit le premier et nous nous ferons gloire de l’avoir dit, il s’agit ici d’une des plus immenses entreprises qu’un seul homme ait osé concevoir ; il s’agit d’une œuvre qu’un poète ingénieux nommait, devant nous, les Mille et une Nuits de l’Occident, sans savoir, que ces morceaux, si divers, si poétiques, si vrais, pris séparément, s’enchaînaient et devaient produire le speculum mundi dont nous parlions !

Et que sera-ce, lorsque, plus tard, la troisième partie, dont le titre est connu de quelques amis de l’auteur, quand les Études analytiques, auxquelles appartiennent évidemment la Physiologie du mariage et le Traité de la vie extérieure, dont plusieurs fragments ont été publiés, quand ces dernières conséquences d’une vaste pensée viendront couronner de leurs riches entablements ce palais littéraire, comparable aux poëmes que les Sarrasins écrivaient en marbre, et sur lequel ils gravaient l’Alcoran en caractères d’or. À ce dernier labeur, où se concentrera l’examen railleur des principes sociaux, appartient encore un livre dont le titre (la Monographie de la vertu) a plus d’une fois excité la curiosité de ceux qui, du