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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/275

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haillons, ils t’ont fait laid, ignoble, repoussant, stupide, que sais-je ? Ils t’ont rapetissé, raccourci, mutilé à leur taille, toi géant d’intelligence et de progrès ! Les profanes ! Oh ! s’ils t’avaient vu !

Tu faisais les délices de cette belle fête nationale ! en gants blancs, culottes blanches, bas de soie blancs, gilet blanc, habit de drap vert-pomme doublé de soie, doublé de velours ; — et puis un claque à pluche, et puis des breloques, des chaînes, des lorgnons et puis, et puis…

Tu jures, mais quel parfum ! tu pousses, tu renverses, tu sautes, tu déchires, tu mords, tu cries, tu ris, tu bondis, mais que de grâce ! que de pétulance ! que de gaieté !

— Dieu de Dieu, baron, quel panorama de houris ! ô vingt dieux, baron, je les adore, je les adore toutes… Dieu ! la belle brune ! Oh ! quelle blonde ! Elles me fixent, bon Dieu !… Oh ! vingt dieux !

Un bond, deux bonds, une suite non interrompue de bonds.

Voix de femmes, ensemble et séparément. — Quelle horreur ! on déchire ma robe… — On m’écrase les pieds… — On me mord les jambes… — Aie, aïe, aie ! le mollet !

M. Prudhomme, à ses voisins. — D’où peut venir cette émeute populaire ? Messieurs, je vous prends à témoin !… je proteste contre toute insurrection, pacifique ou non, qui aurait pour but la violation de la monarchie et de la brave garde municipale.

Un militaire, à M. Mahieux. — Corbleu ! méchant bossu, finirez-vous de sautiller ?

— Dieu de Dieu ! on a dit bossu ! — Qu’est-ce qu’a dit bossu ? — Bossu ! — Bossu vous-même, militaire ; vous êtes un inconvenant !

Éclats de rire. — Ah ah ah ! oh oh oh ! hi !

— Je veux réparation d’honneur ; je l’aurai, bon Dieu !

Le militaire hausse les épaules, Mahieux se pend à son bras gauche, il lui mord les cuisses. Le militaire fait un brusque mouvement et lance M. Mahieux sur un garçon chargé d’un plateau de punch, de glaces, de sorbets. Le garçon chancelle, le plateau tombe sur Mahieux.

— Aïe, aïe ! j’ai une glace dans la poitrine ! Ouf ! j’ai un punch dans le dos ! Oh ! vingt dieux ! j’ai une bavaroise dans mon claque… Aïe, aïe ! militaire, bon Dieu ! votre procédé est indélicat, on ne lance pas un galant homme comme une balle, sans le prévenir, vingt dieux !

(S’inclinant avec grâce.) Serais-je assez heureux, belle dame, pour être votre cavalier à la suivante ?

La demoiselle, en se mordant les lèvres. — Avec plaisir, monsieur.

— Votre toilette est délicieuse ; je suis passionné pour vos rubans.

— En avant deux, la chaîne des dames !

— Oh ! vingt dieux ! ce devrait être la chaîne de toute la vie !

— Vous êtes galant, monsieur.

— C’est vrai, belle dame ! pour la galanterie, la nature ne m’a pas tourné le dos, je suis son enfant gâté, moi ! j’idolâtre les dames, vrai Dieu !