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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/287

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XV.
FANTAISIE.
Application d’un génie d’homme à une carcasse de baleine et à une bûche de bois.

Il y a quelques années, un industriel s’avisa d’imaginer qu’un cétacé pouvait servir à autre chose que faire de l’huile, de la bougie et des buses, et il fit des fleurs en baleine.

L’œuvre fut si parfaite, que tous les amis de l’industriel étaient dans une admiration dubitative, laquelle l’industriel ne daignait seulement pas convaincre.

Mais, le monarque d’alors s’étant permis de hocher royalement la tête, parce que l’industriel s’engageait à faire toute une serre artificielle avec la baleine des Pays-Bas, alors celui-ci sollicita de l’obligeance d’une des dames, le busc de son corset, dans l’intérêt de l’art, et, entre ses mains, cet inélégant tronçon servit de tige à une rose admirable, ne cédant en rien à la nature par la suavité de l’apparence et le charme du coloris.

À ce coup, bruyant concert d’éloges de cour.

Cela seul eût suffi à la fortune d’un artiste ayant déjà vingt mille livres de rente. Or, comme il ne manquait plus que cela à celle de notre industriel, il renonça à la baleine, se disant une dernière fois cétacé.

Adonc, cet hiver, assis au coin de son feu, les jambes étendues comme un homme qui attend la fortune, en jouant avec ses doigts et en se manuélisant le cerveau, il s’avisa d’imaginer qu’une bûche pouvait servir à une autre chose que faire des cendres et des allumettes, et il en fit des chapeaux à l’usage des deux sexes.

Dire une pareille chose semble folie de notre part ; c’est donc prodige de la part de celui qui l’a conçue et réalisée.

Car il n’est aucune étoffe que n’imite à s’y méprendre les fragments de la bûche en question. Velours, gros de Naples, pluche et autres bagatelles ont été transférés du chantier dans les ateliers de nos premières modistes, et Longchamps verra plus d’un élégant minois gracieusement encadré dans une coiffure de bois.

En apprenant cette merveille, le comte de Camerano, grand protecteur des modes, a vite envoyé, rue des Fossés-Montmartre, au grand dépôt de la sylvestrine (c’est le nom des bûches perfectionnées), demander si, vu son titre et son rang, l’industriel ne pourrait pas lui confectionner un complet habillement indigène depuis les bottes jusqu’au chapeau, mettant généreusement pour cela toute une voie de bois à sa disposition.

Avec un peu de peine et beaucoup de bûches, l’industriel y est parvenu.

Mais, vêtu de la sorte, il a été généralement convenu qu’en bois blanc, le comte de Camerano ressemblait à un pierrot ; qu’en acajou, il avait tout l’air d’une commode ; qu’en bois peint, on le prendrait pour un devant de boutique ; en sorte qu’on ignore encore sous laquelle de ces trois flatteuses apparences M. le comte se présentera à Longchamps.

24 mars 1831.