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XXX.
ESSAI D’UN REMÈDE CONTRE LE CHOLÉRA-MORBUS.

Le choléra-morbus était à la barrière de Pesth, en Hongrie, qui marchait de son pas sanglant, la faux en main et la tête haute, sans que les commis de l’octroi lui courussent après, faute d’avoir subi les visites de formalité…

Puis, devant le fléau, bondissait la terreur vagabonde, la terreur aux yeux hagards, aux mains suppliantes, aux cris déchirants. Car, si l’on n’en mourait, il y aurait à devenir fou de se trouver ainsi happé sans rime ni raison par cette main brutale, faisant tout à coup rendre compte de la vie, à vous, petite et heureuse fille, à vous, homme jeune et avide de jours, comme si jamais on songeait à pareille chose avant d’être brisé par les revers ou affaibli par l’âge.

Aussi était-ce dans Pesth un trouble d’assaut, un sac moral. Ici, les uns barricadant leurs maisons pour ne pas ouvrir au choléra-morbus ; — là, d’autres fuyant leur logis, pour qu’il ne les rencontrât pas chez eux ; — à côté, des épicuriens s’emplissant d’eau-de-vie et de liqueurs fortes pour ne laisser en eux aucun vide où l’épidémie pût se loger ; — et, plus loin, quelques pauvres diables assommant les gendarmes, afin de se procurer encore une dernière satisfaction… Mais, au milieu de ces figures décomposées par la terreur, de ces pensées bouleversées par l’effroi, un seul sentiment domine tous les autres : celui de l’égoïsme, première qualité.

Parmi les nouveaux vassaux du seigneur Choléra se trouvait un primat de Hongrie, lequel ne pouvait se résoudre à mourir comme un simple particulier. Et cela se conçoit. Qu’un vil prolétaire, perdant toujours en ce monde et n’ayant qu’à gagner en l’autre, quitte la vie insouciant, bien ; mais c’est à regret qu’on abandonne, pour l’hypothétique peut-être, une certitude de plaisirs et de délices ; et le primat, cramponné après l’existence, combattait le fléau depuis longtemps par d’incroyables préservatifs.

Tous les systèmes rêvés sur l’origine du choléra, il les avait suivis ; toutes les tisanes ou pilules supposées efficaces, il les avait avalées. Ayant appris que, d’après une nouvelle méthode, le choléra s’introduisait par les cheveux, il s’était fait raser la tête, ce qui lui donnait l’air d’un Chinois effrayé. Il avait aussi tenté d’inutiles efforts pour se procurer une bienfaisante gale, indiquée comme remède ; malgré la meilleure envie, il n’avait jamais pu se la procurer, et il en était réduit à se gratter tout le long du jour par manière de consolation.

Il avait donc usé tous les conseils, épuisé tous les médicaments, hors ceux de son confesseur ; l’arrivée du choléra à Pesth lui rendit tout à coup cet oubli palpable comme un remords : il envoya vite chercher le saint homme.

Vous dire ce qui se passa entre eux pendant plusieurs heures qu’ils demeurèrent enfermés, point ne saurais ; mais, dans la journée même, le primat déposa deux millions de florins pour la construction de la cathédrale de Gran, ainsi que cent mille florins pour aumônes aux pauvres ; enfin, à part l’air insolite que don-