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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/369

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III. Malheurs et Aventures de César Birotteau avant sa naissance, par Édouard Ourliac. Figaro, 15 décembre 1837. Voici cet article, qui fut réimprimé à la suite de la première édition de César Birotteau, et qui n’a pas encore été réuni aux œuvres de son auteur :

Chantons, buvons et embrassons-nous comme un chœur d’opéra-comique. Allongeons nos mollets, et tournons sur l’orteil comme un corps de ballet. Réjouissons-nous enfin : le Figaro, sans qu’il y paraisse, a dompté les éléments, tous les malfaiteurs et tous les cataclysmes sublunaires.

Hercule n’est plus qu’un drôle, les pommes hespérides, que des navets ; la toison d’or, qu’une peau de lapin ; le siége de Troie, qu’une faction de garde national. Le Figaro vient de conquérir César Birotteau.

Jamais les dieux irrités, jamais Junon, Neptune, M. de Rambuteau ou le préfet de police, n’opposèrent à Jason, Thésée, ou les passants de la capitale, plus d’obstacles, de monstres, de ruines, de dragons, de démolitions, qu’à ces deux malheureux in-octavos.

Nous les avons enfin, et nous savons ce qu’il en coûte. Le public n’aura que la peine de les lire. Cela compte pour un plaisir. Quant à M. de Balzac, — vingt jours de travail, deux mains de papier, un beau livre de plus : cela compte pour rien.

Quoi qu’il en soit, c’est un exploit typographique, un tour de force littéraire et industriel digne de mémoire. Écrivain, éditeur et imprimeur ont plus ou moins mérité de la patrie. La postérité s’entretiendra des metteurs en pages, et nos arrière-neveux regretteront d’ignorer les noms des apprentis. Je le regrette déjà comme eux, sans quoi je les dirais.

Le Figaro avait promis le livre au 15 décembre, et M. de Balzac le commence le 17 novembre. M. de Balzac et le Figaro ont la singulière habitude de tenir parole quand ils ont promis. L’imprimerie était prête et frappait du pied comme un coursier bouillant.

M. de Balzac envoie aussitôt deux cents feuillets crayonnés en cinq nuits de fièvre. On connaît sa manière. C’était une ébauche, un chaos, une apocalypse, un poëme hindou.

L’imprimerie pâlit. Le délai est bref, l’écriture inouïe. On transforme le monstre, on le traduit à peu près en signes connus. Les plus habiles n’y comprennent rien de plus. On le porte à l’auteur.

L’auteur renvoie les deux premières épreuves collées sur d’énormes feuilles, des affiches, des paravents. C’est ici qu’il faut frémir et avoir pitié. L’apparence de ces feuilles est monstrueuse. De chaque signe, de chaque mot imprimé, part un trait de plume qui rayonne et serpente comme une fusée à la Congrève, et s’épanouit à l’extrémité en pluie lumineuse de phrases, d’épithètes et de substantifs soulignés, croisés, mêlés, raturés, superposés ; c’est d’un aspect éblouissant.

Imaginez quatre ou cinq cents arabesques de ce genre, s’enlaçant, se nouant, grimpant et glissant d’une marge à l’autre, et du sud au septentrion. Imaginez douze cartes de géographie enchevêtrant à la fois villes, fleuves et montagnes. —