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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/48

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— En nous plaçant au point de vue politique où vous êtes forcé de vous mettre, dit-il en continuant sans relever l’exclamation, en revêtant la robe de procureur général à toutes les époques, car tous les gouvernements ont leur ministère public, eh bien, la religion catholique se trouve infectée dans sa source d’une violente illégalité conjugale. Aux yeux du roi Hérode, à ceux de Pilate qui défendait le gouvernement romain, la femme de Joseph pouvait paraître adultère, puisque, de son propre aveu, Joseph n’était pas le père du Christ. Le juge païen n’admettait pas plus l’immaculée conception que vous n’admettriez un miracle semblable si quelque religion se produisait aujourd’hui en s’appuyant sur des mystères de ce genre. Croyez-vous qu’un tribunal de police correctionnelle reconnaîtrait une nouvelle opération du Saint-Esprit ? Or, qui peut oser dire que Dieu ne viendra pas racheter encore l’humanité ? Est-elle meilleure aujourd’hui que sous Tibère ?

— Votre raisonnement est un sacrilége, reprit le procureur du roi.

— D’accord, dit le journaliste, mais je ne le fais pas dans une mauvaise intention. Vous ne pouvez supprimer les faits historiques, vous ne sauriez ôter Pilate de la Passion. Selon moi, Pilate condamnant Jésus-Christ, Anytus, organe du parti aristocratique d’Athènes, demandant la mort de Socrate, représentaient des sociétés établies, se croyant légitimes, revêtues de pouvoirs consentis, obligées de se défendre. Pilate et Anytus étaient alors aussi logiques que les procureurs généraux qui demandent aujourd’hui la tête des sergents de la Rochelle, qui font tomber la tête des républicains armés contre le trône légitime, et celles des novateurs dont le but est de renverser à leur profit les sociétés sous prétexte de les mieux organiser. En présence des grandes familles d’Athènes et de l’empire romain, Socrate et Jésus étaient criminels ; pour ces vieilles aristocraties, leurs opinions ressemblaient à celles de la Montagne ; supposez leurs sectateurs triomphants, ils eussent fait un léger 93.

— Où voulez-vous en venir, monsieur ? dit le procureur du roi.

— À l’adultère ; ne doit-il pas entrer comme élément littéraire dans une littérature qui peint une époque où cet élément abonde comme il abondait jadis dans les anciennes sociétés ? Je conclus, monsieur, en disant qu’un mahométan, en fumant sa pipe, peut parfaitement dire que la religion des chrétiens est fondée sur l’adultère ; comme nous croyons que Mahomet est un imposteur, que son Coran est une répétition de la Bible et de l’Évangile, et que Dieu n’a jamais eu la moindre intention de faire de ce conducteur de chameaux son prophète.

— S’il y avait en France beaucoup d’hommes comme vous, et il y en a malheureusement trop, tout gouvernement y serait impossible.

— Et il n’y aurait pas de religion, dit madame de la Hautoît, dont le visage avait fait d’étranges grimaces pendant cette discussion.

— Tu leur causes une peine infinie, dit Bianchon à l’oreille de Jules ; ne parle pas religion, tu leur dis des choses à les renverser.

— Si j’étais écrivain et romancier, dit le receveur des contributions, je prendrais le parti des maris malheureux. Moi qui ai vu beaucoup de choses, et d’étranges choses, je sais que, dans le nombre des maris trompés, il s’en trouve