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Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/68

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que l’auteur finira sans doute. Mais à cette fleur odorante et fine nous devons laisser et l’exquise fraîcheur de son arome, et son velouté. La Paix du Ménage est un joli croquis, une vue de l’Empire, un conseil donné aux femmes d’être indulgentes pour les erreurs de leur mari. Cette scène est la plus faible de toutes et se ressent de la petitesse du cadre primitivement adopté. Si l’auteur l’a laissée, peut-être a-t-il cru nécessaire de plaire à tous les esprits, à ceux qui aiment les tableaux de chevalet, comme à ceux qui se passionnent pour de grandes toiles. Une des créations les plus profondément étudiées de M. de Balzac, une de celles qui, avec Louis Lambert, le Médecin de campagne et Séraphita, ont voulu chez l’auteur le plus de recherches en dehors des travaux ordinaires du romancier, est Balthazar Claes ou la Recherche de l’absolu. Si cette œuvre n’a pas reçu du public un accueil aussi passionné qu’une foule d’autres qui lui sont inférieures à quelques égards, peut-être la raison de ce dédain momentané vient-elle de la supériorité même de l’œuvre et de la perfidie de certains critiques. Quelques-uns ont cru, d’autres ont répété que les travaux de Balthazar Claes aboutissaient à la recherche de la pierre philosophale ; et partout on a dit la même chose en d’autres termes. Certes, si les critiques avaient lu avec quelque attention ce livre, qui en mérite beaucoup, ils auraient vu que le sublime Flamand est aussi supérieur aux anciens ou nouveaux alchimistes que les naturalistes de notre époque le sont à ceux du moyen âge. Si l’on disait à un romancier, à un poëte (et le poëte, pour être complet, doit être le centre intelligent de toute chose, il doit résumer en lui les lumineuses synthèses de toutes les connaissances humaines), si l’on disait à un homme d’imagination, au moment où il aborde un sujet qui touche à ce que les sciences physiques ont de plus élevé : « Prenez garde ! le poëme que vous rêvez sera incomplet si vous ne pénétrez les mystères les plus intimes de la physique et de la chimie ! » croyez-vous qu’il eût le courage de substituer à ses vaporeuses créations les calculs ardus et les nomenclatures infinies de la science, jusqu’à ce que le génie de la chimie et de la physique lui fût apparu dévoilé, nu, éclatant ? S’il l’eût fait, il eût été sans doute un homme à part, un vrai poëte. Cette conquête difficile, M. de Balzac l’a tentée, et il a réussi ; car il est doué d’une de ces volontés énergiques et opiniâtres qui sont la première condition des succès. Il a demandé à la chimie ce qu’elle avait fait, jusqu’où elle était allée ; il en a appris la langue ; puis, s’élevant d’un de ces vigoureux coups d’aile de poëte qui font entrevoir les hauteurs immenses que la science expérimentale gravit péniblement, il s’est armé d’une de ces éblouissantes hypothèses qui, peut-être un jour, seront des vérités démontrées. Si l’analyse est aux savants, l’intuition est aux poëtes. On a quelquefois reproché de l’exagération à M. de Balzac ; on a dit que, tout en partant d’un principe vrai, il en outrait quelquefois l’expression ; mais n’oubliait-on pas que le propre de l’art est de choisir les parties éparses de la nature, les détails de la vérité, pour en faire un tout homogène, un ensemble complet ? Les critiques ont trouvé quelque chose de trop idéal dans les quatre individualités de ce roman : les hautes qualités du génie sont trop prodiguées à Balthazar, et les dévouements de sa fille aînée ont paru trop magnifiques, trop continus. Existe-t-il ensuite des âmes aussi loyales, aussi candides que celle de l’amant de Marguerite, des bossues aussi séduisantes, aussi