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Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/110

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La Femme surtout ! Suis de l’œil ces bataillons
De gamines qui vont, blanches sous les haillons,
Et qui, montrant leurs dents, croquent de jaunes pommes
De terre frites, sous l’œil allumé des hommes !
Peins la svelte maigreur aux méplats séduisants
Et la gracilité des filles de seize ans ;
Va, ne dédaigne rien, ni la bourgeoise obèse
Ni la duchesse au front d’or que le zéphyr baise,
Ni la pierreuse, proie offerte au noir filou,
Qui peigne ses cheveux lourds avec un vieux clou,
Ni la bonne admirant, parmi la transparence
Des bassins, le reflet d’un pantalon garance,
Ni la vieille qui, pour implorer un secours,
Se coiffe d’un madras et chante dans les cours,
Ni ces filles de joie aux tragiques allures
Offrant au vent furtif leurs roses chevelures,
Et poursuivant, les soirs, leur patient calcul
Devant les Nouveautés et le café Méhul,
Catins dont les satins, sans jamais faire halte,
Comme des serpents noirs se traînent sur l’asphalte !
Regarde l’Homme aussi ! Peins tous les noirs troupeaux
Des hommes, sénateurs ou bien marchands de peaux
De lapins ; droit, bossu, formidable ou bancroche,
Vois l’Homme, vois le bien, de d’Arthez à Gavroche !