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Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/72

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Avec les gestes secs et fous des automates
Et titubait, ayant la goutte à ses deux pattes.
Près d’elle, en ce désastre effroyable et complet,
Un homme de ses yeux tristes la contemplait.
C’était un malheureux. C’était le pauvre diable,
Celui dont la misère est irrémédiable
Et qui, la nuit, chemine avec les loups-garous.
Son habit n’était rien que loques et que trous ;
Dans sa chemise ouverte on voyait ses mamelles,
Et ses souliers percés n’avaient plus de semelles.
Il était aussi vieux que la poule, réduit
À rien, maigre, pensif, ne faisant pas de bruit.
Sur son front dénudé par tant de jours arides
Se croisaient des réseaux de veines et de rides,
Et fauve, décharné comme elle, horrible à voir,
Il regardait la poule en mangeant son pain noir.
Or, je lui dis : Quelle est cette étrange merveille ?
Comment a pu survivre une poule si vieille ?
Vient-elle de Ninive ou de Jérusalem ?
Bon homme, ayant duré plus que Mathusalem,
Grise, poudrée encor des antiques poussières
Et peut-être échappée au sabbat des sorcières,
Pourquoi, fermant son œil unique au jour vermeil,
Ne s’endort-elle pas de l’éternel sommeil ?