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Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/139

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LXXIX. — SCÈNE D’AMOUR

La belle et géante Pauline Roche, cette cantatrice bâtie avec des pierres cyclopéennes, est assise sur le tapis à fond blanc, aux pieds de Gabriel Artas, et dénouée, sa vaste chevelure blonde, fauve, dorée, enflammée, débordante, inonde les genoux de son amant. Tout à l’heure, Gabriel voulait caresser sa belle maîtresse, et lui parler d’amour, et la charmer de louanges ; mais Pauline l’a arrêté d’un geste suppliant et impérieux.

— « Non, lui a-t-elle dit, ne m’embrasse pas, ne baise pas mes mains tremblantes ! Laisse-moi me coucher à tes pieds, immobile, silencieuse, domptée comme une chienne fidèle, savourant l’anéantissement de ma volonté, et m’enivrant seulement de penser que je t’appartiens et que je suis une chose à toi ! »

Le jeune homme, qui n’est pas contrariant, a laissé son amie faire ce qu’elle voulait. Mais, comme il n’est pas non plus romanesque, ayant vu à sa portée, sur une toute petite commode à grands pieds, un volume des Mousquetaires d’Alexandre Dumas, il l’a ouvert et accoté sur d’autres livres, et il s’amuse à lire les aventures de d’Artagnan, tandis que sa grande amoureuse épuise les mystérieuses joies du non-être. Il ne se lasse pas de suivre par monts et par vaux le Gascon infatigable et ses amis,