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Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/196

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incomparables, elle chante une chanson de vieille ; mais tous affirment que si son chant est parfait et ressemble à un collier de lumineuses perles qu’on égrènerait dans la nuit, elle n’a pu forcer sa jeune voix d’or à imiter la vieillesse. On danse ; et la jolie Céline est la reine des danses, vive, pleine de grâce, légère comme la brise et la poussière envolée, et comme la plume au vent. Puis on soupe ; et il n’y a plus de parleurs, de diseurs, de Parisiens spirituels ; on ne veut plus voir et entendre que la petite vicomtesse. Elle tient tête à tout et à tous, aux hommes, aux femmes, aux mets délicats, à la mousse du champagne, à l’éclat des flambeaux ; elle est la joie, l’ivresse, la folie, la gloire de cette fête.

Mais tandis qu’elle lève son verre pour répondre à un toast qui lui a été porté, il semble que tout à coup son corps se rétrécisse et diminue ; son visage pâlit, s’efface ; ses yeux s’éteignent ; elle tombe inanimée et roide. Ainsi finit par cette catastrophe le bal bien vite déserté, au milieu d’un effroyable et sinistre tumulte.

— « Enfin, dit Mattio en descendant l’escalier, qu’est-ce ? Une congestion soudaine ? la rupture d’un anévrisme ?

— Non, monsieur, lui répond de sa voix de bronze le célèbre docteur Cloquemin, ce rude octogénaire, fort comme un chêne. Madame Céline de Fonfride, qui vient d’expirer ainsi à nos yeux, est morte — de vieillesse ! »