Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/33

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imminente, qui tout à l’heure mouillera ses aiguillettes bien blanchies et ses buffleteries jaunes, éclatantes comme des fleurs. Il ne s’inquiète pas non plus du bandit Gueule-de-Loup qu’il va, lui tout seul, arrêter dans la montagne, et qui lui tirera certainement quelques coups de pistolet en pleine poitrine.

On dirait que le visage de Tortezat a été taillé à la hache. Son nez bizarre ne se rattache à aucun type ; le vent, la pluie et le soleil ont poli sa peau brune, comme de farouches tanneurs, et sa moustache révoltée et roide ressemble à un balai de crin. Enfin, bâti comme une forteresse et chaussé de ses bottes énormes, Tortezat n’a pas d’autre beauté que celle du Diable ; cependant, tout le monde le regarde sans avoir envie de rire, principalement ceux qui l’ont vu agripper les mauvais drôles avec sa forte poigne.

Marchant à un sérieux danger de mort, le bon gendarme est parfaitement gai et tranquille, comme s’il était dans son jardin, occupé à tailler ses chers rosiers, car il sent qu’il est l’incarnation visible de la Loi, et il possède l’invincible sérénité de quiconque représente un Idéal. Et, sorties du ciel orangé, zébré de bandes violettes et sanglantes, autour de son front volent, leurs bouches ouvertes, leurs cheveux hérissés, laissant flotter leurs draperies où s’engouffre un ouragan d’atelier purement conventionnel, et tenant en main leurs glaives nus, — de terrifiantes Divinités allégoriques !