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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/122

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garde le suivit de la même vitesse. Intrépide, aimant l’émotion du danger et la palpitation qu’il engendre, elle aurait, quelques heures plus tôt, joui de cette course furieuse, imprudente, à perte de vue et d’haleine. Mais alors, elle en souffrit comme de ses pensées. Cette course lui paraissait sinistre. Ryno, qui la devançait, avait l’air de la fuir. Elle le suivait et ses larmes coulaient. La ventilation de la course et l’air salin du rivage les séchaient sur son visage bouleversé. Lui, ne les voyait pas ; il galopait toujours… « Qu’as-tu, Ryno ! Pourquoi vas-tu si vite ?… » Elle le lui cria plus d’une fois. Mais il n’entendit point. Le vent qui leur fouettait la face et qu’ils fendaient de leurs deux têtes, comme les têtes des nageurs coupent l’eau, emportait en arrière le cri déchiré d’Hermangarde. Sa voix lui revenait sans puissance. Son amour allait-il lui revenir aussi ? Ils passèrent le bras de mer qui coulait à l’entrée de Carteret, sous le pont de planches. La mer était montée, l’eau profonde. Les chevaux lancés en eurent jusqu’au poitrail. L’ondoyante amazone, — qui traînait, enflée par la course, comme l’aile d’un cygne noir, — les pieds chaussés de daim, ces pieds de Diane chasseresse, mais délicats comme des pieds de Parisienne, les genoux d’Hermangarde, trempèrent dans cette eau, froide et meurtrière comme l’acier.