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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/16

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qui a manqué à ma jeunesse ; mais je le vois sans en souffrir. Le regret, qui fait le fond de la vie de tant de femmes, jette son ombre sur mes pensées, mais il ne fait point naître dans mon âme des sentiments envieux ou amers. Quand mes facultés étaient plus vives, mes soifs de vivre plus exigeantes, je n’aurais pu supporter le spectacle que je vois encore une fois avant de mourir, et qui est si beau, mon pauvre vicomte, que tout ce qu’on nous conte du Paradis ne peut pas être mieux que cela !

« Vous étonnez-vous de ce que je vous mande ? Oui, n’est-ce pas ? Eh ! mon Dieu ! moi aussi, j’ai été étonnée, et même confondue d’étonnement ! J’ai commencé par là. Mais il a bien fallu convenir que ce mariage imprudent était, en définitive, de toutes les témérités la plus heureuse. Il a bien fallu s’humilier et faire réparation à ma vieille amie, la marquise de Flers, laquelle s’est trouvée, par l’événement, avoir mieux que moi et le monde compris M. de Marigny et son amour. Vous vous rappelez de quelles défiances j’étais armée contre cet homme, trop supérieur, s’il était faux, pour n’être pas excessivement dangereux. Je l’envisageais à travers la plus détestable des réputations. Cette hécatombe de femmes sacrifiées dont le monde parlait, la maladie et le chagrin