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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/175

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fatigue. D’ailleurs, il tombait un peu de brouillard.

Elle était donc restée seule sur la causeuse, veuve de lui, au coin du feu, sa place accoutumée, le théâtre d’une intimité si tendre et de ce drame muet si triste qui incessamment s’y mêlait. Courageuse, elle prit son aiguille et sa broderie et elle essaya de vaincre, par l’application au travail, les attendrissements qui la surmontaient. Elle baissa son front, gros de rêves, sur ses mains royales de beauté qui soutenaient son frêle ouvrage… Mais bien loin de distraire la pensée, les travaux des femmes la concentrent. À qui les a parfois observées quand elles semblent le plus perdues au sein des patientes et fragiles difficultés d’une reprise à faire ou d’une fleur de feston à achever, il est aisé de lire à pleines pages, dans leurs mouvements et dans leurs poses, bien des poèmes de douleur cachée, de riant espoir, de secret désir. Le visage incliné échappe, mais les mains parlent. Elles ont des façons si rapides ou si languissantes de tirer l’aiguille, ou vers leur sein ou de côté ; elles ont des manières de couper leur fil, étourdies, rêveuses, abandonnées, résolues, péremptoires, impérieuses, cruelles, encolérées, hésitantes, tremblantes, adroites comme la finesse, maladroites comme l’émotion ! Pour qui a le sens de ces révéla-