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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/205

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que cette force de lion n’eût pas quelque part sa blessure ?… »

Et il retomba dans sa lourde rêverie. Mais Hermangarde avait bien compris cette clameur d’une âme qui étouffe et qui saigne, et qu’il venait de lancer. Ce qu’il avait bu embrasait sans doute sa pensée, mais il n’y avait pas en lui que les misérables ferments des breuvages matériels… Il y en avait d’autres, qu’il puisait silencieusement, depuis une heure, à la source vive du passé. Oh ! qui a touché à ces nectars terribles a bu la soif elle-même, comme les damnés en buvant leur feu liquide dans leur coupe de feu solidifié !

Pauvre Hermangarde ! Elle voyait bien qu’il souffrait et elle n’y pouvait rien. De tous les rois qui perdent leur couronne, celui qui doit en souffrir le plus, c’est l’Amour !

— « Eh bien, Ryno, — lui dit-elle après un silence, — pensez-vous toujours à sir Reginald Annesley ?… »

Affondé dans les abîmes du souvenir, il baissa la tête et ne répondit pas. Il se versa un verre encore de cette liqueur forte et pourtant perfide qui, pour l’oubli qu’on y cherche, teint de son or toutes les perspectives de la vie qui n’est plus, afin que nous les aimions et les regrettions davantage. Elle fut frappée au cœur de ce geste muet. Il lui disait trop qu’il y avait