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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/235

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me suis jeté à Hermangarde. J’ai embrassé cette adorable femme, belle comme le jour et noble comme une fille de roi ; je l’ai embrassée comme un homme qui sombre, qui sent qu’il s’enfonce dans la mer, embrasse sa planche de salut. Dieu m’est témoin que toi, près de qui je suis maintenant, tu as été cause de plus de baisers, de plus d’étreintes, de plus de tendresses pour Hermangarde que je ne lui en donnai jamais dans l’indépendance de mon amour ! Je me disais qu’elle était assez belle, je sentais que je l’aimais assez pour engloutir dans toutes les ivresses qu’elle verse au cœur, l’inexorable sentiment du passé, cette magie à contre-sens de la vie, cet atroce mirage auquel la pensée fascinée s’en revient toujours ! Je me suis plongé dans son sein. Je me suis caché dans son âme, comme les damnés se plongent le front dans leurs mains, au fond de leur enfer, pour ne pas voir Dieu. C’est insensé, c’est inutile ! Il faut qu’ils le voient. Il faut qu’ils sentent sa main de braise sur leur cœur. De même, moi ! Le passé, ce dieu de ma vie, m’a pris à poignées les entrailles de mon être et ne les lâche plus ! Voilà pourquoi je suis venu, Vellini. J’ai ouï dire que, dans les batailles, quand les chevaux de noble race sont légèrement blessés au poitrail par les baïonnettes, un incompréhensible attrait de douleur les pousse à se précipiter