Aller au contenu

Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

missantes du désir. Jamais le souvenir de l’amour n’avait plus ressemblé à l’amour même. Jamais ils n’avaient mieux compris, ces deux êtres, que la mémoire des temps écoulés, cœur contre cœur, avait repoussé, cœur contre cœur ; que de toutes les réalités de l’existence, la plus puissante, c’est la chimère du passé !

Minuit qui sonna au clocher de Barneville, et la grossière horloge à poulie « qui jura que le fait était vrai[1] », les tira de leur contemplation rêveuse. Ryno se leva. « Il faut partir, — dit-il avec regret, — il faut retourner au manoir. » C’était ainsi qu’il la quittait, rue de Provence. Et ce soir, comme dans ce temps-là, il lui dit adieu en espagnol, dans cette langue qu’elle lui avait apprise et qu’il n’avait jamais parlée qu’avec elle, car il eût craint, sans doute, l’impression de ces mots, vidés, comme la coupe du roi de Thulé, de l’amour dont ils s’étaient remplis pour lui, et sonnant, comme une ironie de son bonheur, sur des lèvres indifférentes.

Il monta à cheval devant elle. « Je serai ton page, — lui dit-elle avec sa grâce osée, sa grâce de jeune garçon mutin et hardi ; — laisse-moi te

  1. Burns, dans Tye Brigs of Ayr :

    The drowsy Dungeon-clock had number’d two
    And Wallace tower had sworn ihe fact was true.