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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/260

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dans les pures et fières profondeurs de son âme. Inintelligibles pour elle, mais clairs pour lui, ils montraient sous un jour accablant et cruel ce qu’il n’avait jusque-là qu’entrevu… « Ah ! — disait-elle, les joues pourprées, les yeux rouverts, mais égarés, et de cette voix entrecoupée, séchée par la fièvre, brève et rauque ; cette voix qui fait devenir les ongles bleus de terreur, quand elle vient d’une personne aimée, — Ryno ! Ryno ! c’est toujours la femme rouge… la femme de la Vigie ! Dieu ! Elle ! Toujours ! Chasse-la, Ryno, chasse-la ! Ne la prends pas comme cela dans tes bras, car c’est moi que tu tuerais… Chasse-la ! Je ne la connais pas, cette horrible femme… Comme elle me regardait à travers le brouillard ! son regard brûlait le brouillard et mon cœur… Ah ! mon Dieu ! » Et après un silence d’épouvante, elle reprenait avec plus d’épouvante encore : « Eh quoi ! elle ne s’en ira pas, cette femme ?… Elle est là, maintenant, assise sur de la paille… avec mon mari… avec Ryno. Là ! — criait-elle, — là ! » Et son doigt aveugle, comme son regard aveugle, malgré la dilatation de ses prunelles, indiquaient un point de la chambre. Elle se dressait sur son séant, les cheveux défaits : « Mais je ne veux pas qu’elle t’embrasse ainsi devant moi, Ryno ! Chasse-la !… Il ne la chasse pas ! — reprenait-elle en se tordant les mains avec angoisse. — Oh !