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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/315

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contre les fantômes dans la forêt enchantée. Je savais bien (j’en aurais juré !) que mon amour pour Hermangarde ne serait point la proie de ces illusions perdues dont les spectres, en vous regardant, ont de si tristes et si charmants sourires, de ces remembrances, comme disent les Anglais dans leur langue profonde, qui chantent mieux que la fleur du Rhin d’irrésistibles ne m’oubliez pas. Je savais bien que la réalité de mon amour pour elle ne tomberait pas devant cette fantasmagorie de la mémoire du cœur, plus impitoyablement fidèle que l’autre mémoire ; devant ces perspectives de la vie passée, revues tout à coup, sur un seul signe, dans notre âme, et vers lesquelles, effrayés et épris, nous nous penchons comme des enfants se penchent sur un miroir renversé. Mais je ne voulais pas que ces impressions passassent même sur l’extrémité des fleurs de mon amour pour elle, et en ternissent, ne fût-ce qu’une heure, l’incomparable pureté !

« Je ne voulais pas… Ah ! marquise, je ris encore d’un rire bien farouche de cette pensée, que je ne voulais pas ! Comme si la volonté la plus énergique avait quelque prise sur une chose qui fait autant partie de notre être que d’avoir vécu déjà, d’avoir déjà senti, d’avoir déjà aimé ! On peut empêcher l’amour de naître. Mais ce qui fut, peut-on l’empêcher