Aller au contenu

Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jatte, sur ces chiennes de pierres, sans avoir tant seulement un bout de corde entre les doigts, j’en aurais levé les épaules de mépris, et pourtant, le diable m’emporte ! c’eût été la pure vérité ! — Oui ! c’eût été la pure vérité, — reprit-il après une pause, avec la singulière mélancolie des hommes d’action qui n’agissent plus. — Il était écrit que Jean-François-Nicolas Griffon verrait, de ses deux yeux qu’il n’a plus, périr bien des équipages, mais qu’il échapperait, lui, de tant de braves gens, à l’abordage, à la tempête, à la faim, aux rages du canon et de la vague, pour enfin venir misérablement mourir à terre, comme un saumon charrié par le filet à la rive, et qui n’a plus assez de reins pour ressauter dans les eaux !

— Bah ! — dit le pauvre, qui, comme tous ses pareils, avait son espèce de philosophie. — Qu’importe où l’on meurt ! Qu’importe la fosse où l’on nous pousse, quand le fond du bissac est usé ! Vers ou poissons, c’est tout un quand il s’agit de nos charognes… Mais v’sêtes encore diablement solide, père Griffon, et v’n’allez pas de sitôt lever l’ancre, comme vous dites, vous autres matelots. »

Tout en parlant ainsi, mains et menton appuyés sur sa gaule, il vit que les fenêtres, ordinairement fermées, du grand salon du manoir, étaient ouvertes et que les brises agitaient, par-