Aller au contenu

Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les rayons les plus indifférents de leurs yeux ne soient à personne, — il avait appliqué aux sensations de la table cette concentration solitaire qui multiplie l’intensité du plaisir par l’isolement de tout ce qui n’est pas la jouissance elle-même. Quand il eut achevé sa tasse de café à Tortoni, dans ce petit salon bleu qu’avait aimé le prince de Talleyrand, il avait traîné sa lambine personne à l’Opéra, car il était un des plus vieux anecdotiers à lorgnettes du Coin de la Reine, puis il en était sorti et s’en était allé chez madame d’Artelles, après avoir fait un grand coude par la rue de Provence, où il avait pris une petite voiture basse qui l’avait charrié au faubourg Saint-Germain. C’était bien toujours le même homme qu’Éloy de Bourlande-Chastenay, vicomte de Prosny. Son maigre et grand corps, que les plaisirs de sa jeunesse n’avaient pu dissoudre et qu’un égoïsme de premier ordre avait fini par durcir dans ses eaux pétrifiantes, avait la solidité d’une pyramide, sous sa jaune et sèche enveloppe de papyrus. Depuis sa première apparition dans cette histoire, il n’avait pris (comme on dit) ni un jour ni une heure. Si notre corps ne pensait plus, peut-être, qui sait ? serions-nous immortels ! À ce compte-là, ce vide ambulant d’idées, le vieux Prosny, devait momifier la vieillesse. Son œil de faucon pour l’éclat