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Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/94

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combien le bonheur d’une femme est fragile. Tu ne sais qu’une chose, toi, c’est ton bonheur. Garde-le bien, en restant ici. Tous ceux qui tiennent à leurs trésors les cachent dans la solitude. Ryno t’aime avec idolâtrie. C’est un noble caractère, mais l’amour qu’il a pour toi n’est pas d’une autre espèce que l’amour des hommes. Ici, qu’aimerait-il s’il ne t’aimait pas ? Tandis qu’à Paris, il est des distractions de toutes sortes ; et pour une femme aimée, toute distraction est une ennemie. »

La belle joue que la marquise flattait de la main changea de couleur.

— « Voulez-vous bien, folle enfant, ne pas pâlir comme cela ! — reprit la marquise. — Qu’est-ce que j’ai dit pour t’émouvoir ainsi, grand Dieu ?… Ma chère enfant, je te donne un conseil dans l’intérêt de ton bonheur qui est le mien. — Et elle embrassa la joue pâlie, mais qui resta pâle. — L’amour t’aurait-il égarée au point de te faire croire qu’aimer et se laisser aimer, c’est assez pour retenir l’amour qu’on inspire ? T’imaginerais-tu que ton mari, qui n’est plus un enfant comme toi, n’a pas aimé avant de te connaître ? Le cœur d’un homme ! ah ! quelle femme peut se vanter d’avoir bien fermé cet abîme, et d’en avoir toujours la clef ?

— Oh ! vous avez raison, grand’mère, —