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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/104

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dans le front, adroite comme un boucher qui frappe le bœuf entre les cornes et l’abat, le front fendu, d’un seul coup. Elle laissa la hache dans la blessure et sauta par-dessus le corps du bandit, tombé dans une mare de sang, comme elle eût sauté une touffe d’églantiers au bout d’un buisson. Elle respirait toutes les qualités de son pays dans son action.

Prévoyante autant qu’inspirée, elle ferma la porte au verrou, poussa contre cette porte la grosse table de la cuisine, et, décrochant le fusil de son père au manteau de la cheminée, elle monta en haut, sans plus s’inquiéter de ce corps vautré dans son sang et qui râlait son agonie. Une fois montée, elle arma son fusil, ouvrit la fenêtre, et attendit.

Deux brigands parurent. Ils allèrent d’abord à cette porte, qu’ils trouvèrent fermée, à leur grand étonnement ; puis, levant les yeux, ils l’aperçurent.

« Ouvre-nous la porte, fillette ! » — lui crièrent-ils.

Mais la fillette les coucha en joue et les menaça de faire feu s’ils ne se retiraient pas. Eux se moquèrent de cette jeunesse, et, comme ils essayaient de forcer la porte, l’un d’eux tomba frappé dans le cœur. L’autre crut venger son complice en envoyant une balle à cette jeune fille, qui rechargeait le fusil de son père. La balle emporta la coiffe de linon de Louisine, qui resta décoiffée, et que les gens du château, en revenant de la messe, trouvèrent à la fenêtre, son fusil armé, les joues aussi ardentes que le ruban de fil rouge qui retenait à sa tête son abondant chignon, blond comme une gerbe d’épis mûrs.