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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/126

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et pour tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de lâcher le moindre mot compromettant.

— Oui, il a chouanné, — reprit gravement le curé Caillemer, — ce qui ne convenait guères à un homme de son état, à un lévite, à un prêtre. C’est la vérité. Mais, sainte Vierge ! c’est la vérité aussi que le bon Dieu l’en a bien puni et lui a écrit, en lettres assez profondes, un terrible châtiment sur le visage.

« Du reste, les circonstances ont tellement dépassé les limites de la prudence humaine, et la cause pour laquelle l’abbé de la Croix-Jugan se battait était si sacrée, puisque c’était celle de notre sainte religion, qu’on n’aurait encore rien à dire s’il n’avait que chouanné, mais…

— Eh ! mais ?… — fit Le Hardouey, l’œil pétillant d’une curiosité haineuse, en tenant son verre à la hauteur de sa bouche, mais ne buvant pas.

— Mais… » — reprit le curé en baissant la voix, comme s’il avait un douloureux aveu à faire.

Jeanne eut une espèce de frisson qui courut dans les racines de ses cheveux, relevés droit sous la dentelle de sa coiffe, et qui découvraient les sept pointes de son front impérieux.

« Il y a pis — continua le curé — que de répandre le sang des ennemis du Seigneur et de son Église, quoique ce ne soit pas à un prêtre à le faire et que les Saints Canons le défendent. Et si je dis ceci, mes chers paroissiens, ce n’est pas que j’oublie le précepte de la charité, mais c’est qu’il est bon, parfois, pour l’exemple, de proclamer la vérité. D’ailleurs, si l’abbé