Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la mémoire de son père, malgré lui il le partageait.

Du reste, ce jour-là et les jours suivants, il ne fut question, au Clos, ni de l’abbé de la Croix-Jugan ni de la Clotte. On n’en parla plus. Jeanne-Madelaine enferma ses pensées dans son tour de gorge, dit Tainnebouy, et continua de s’occuper de son ménage et de son faire-valoir comme par le passé. Les mois s’écoulèrent ; les temps des foires vinrent, et elle y alla. Elle se montra enfin la même qu’elle avait été jusqu’alors et qu’on l’avait toujours connue. Elle était si forte ! Seulement le sang qu’elle avait tourné, croyait maître Tainnebouy, parla pour elle ! Il lui était monté du cœur à la tête le jour où elle avait rencontré l’abbé de la Croix-Jugan chez la Clotte, et jamais il n’en redescendit. Comme une torche humaine, que les yeux de ce prêtre extraordinaire auraient allumée, une couleur violente, couperose ardente de son sang soulevé, s’établit à poste fixe sur le beau visage de Jeanne-Madelaine. « Il semblait, monsieur, — me disait l’herbager Tainnebouy, — qu’on l’eût plongée, la tête la première, dans un chaudron de sang de bœuf. » Elle était belle encore, mais elle était effrayante tant elle paraissait souffrir ! Et la comtesse Jacqueline de Montsurvent ajoutait qu’il y avait des moments où, sur la pourpre de ce visage incendié, il passait comme des nuées d’un pourpre plus foncé, presque violettes ou presque noires ; et ces nuées, révélations d’affreux troubles dans ce malheureux cœur volcanisé, étaient plus terribles que toutes les pâleurs ! Hors cela, qui touchait à la maladie, et qui