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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/174

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et pâle, qui semblait l’archange impassible de l’orgie, tombé du ciel, mais relevé au milieu de ceux qui chancelaient autour de lui, devait être un de ces hommes mauvais à rencontrer dans la vie pour les cœurs tendres qui savent aimer. C’était une de ces âmes tout en esprit et en volonté, composées avec un éther implacable, dont la pureté tue, et qui n’étreignent, dans leurs ardeurs de feu blanc comme le feu mystique, que des choses invisibles, une cause, une idée, un pouvoir, une patrie ! Les femmes, leurs affections, leur destinée, ne pèsent rien dans les vastes mains de ces hommes, vides ou pleines des mondes qui les doivent remplir. Or, par cela même qu’il était tout cela, Jéhoël ne pouvait-il donc pas, dans l’intérêt de la cause à laquelle il s’était dévoué, et quoique prêtre, et quoiqu’il n’eût pas voulu inspirer à Jeanne une passion coupable, souffler de ses lèvres de marbre dans la forge allumée de ce cœur qui se fondait pour lui, malgré sa force, comme le fer finit par devenir fusible dans la flamme ?

Car, il faut bien le dire, il faut bien lâcher le grand mot que j’ai retardé si longtemps : Jeanne-Madelaine aimait d’amour l’abbé Jéhoël de la Croix-Jugan. Que si, au lieu d’être une histoire, ceci avait le malheur d’être un roman, je serais forcé de sacrifier un peu de la vérité à la vraisemblance, et de montrer au moins, pour que cet amour ne fût pas traité d’impossible, comment et par quelles attractions une femme bien organisée, saine d’esprit, d’une âme forte et pure, avait pu s’éprendre du monstrueux défiguré de la Fosse. Je me trouverais obligé d’insister