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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/185

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ne vit donc qu’à l’église l’effrayant génie de sa destinée. La religion s’était-elle ressaisie de ce prêtre, dont le sort des armes ne voulait plus ? Après avoir abdiqué l’espoir de vaincre, comme Charles-Quint l’ennui de régner, l’ancien moine de Blanchelande se faisait-il, dans son propre cœur, un cloître plus vaste et plus solitaire que celui qu’il avait quitté dans sa jeunesse, et prenait-il, dans sa froide stalle de chêne, la mesure du cercueil au fond duquel il se couchait tout vivant en récitant sur lui-même les prières des morts ?… Qui sut jamais exactement ce qui s’agita dans cette âme ? Ce qui est incontestable, c’est que le caractère funèbre et terrible de toute la personne de l’abbé augmenta aux yeux des populations, qui l’avaient toujours regardé comme un être à part et redoutable, à mesure que la physionomie de Jeanne marqua mieux les bouleversements et les dévorements intérieurs auxquels elle était en proie, comme si plus la victime était tourmentée, plus sinistre devenait le bourreau !

Or, l’isolement dans lequel retomba volontairement le noir abbé après la ruine de ses dernières espérances fut la fin du courage de Jeanne. Mais la fin du courage chez la fille de Louisine-à-la-hache était encore une chose puissante. Elle était de ces natures à la Marius qui prennent de leur sang dans leur main et le jettent en mourant contre leur ennemi, fût-ce le ciel ! Rien de lâche ou d’élégiaque n’entrait dans la composition de cette femme. Lorsque les derniers rayons du soir teignaient d’un rose mélancolique sa coiffe blanche, sur la route de Lessay, à cette heure