Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crinière, troublaient seuls. Maître Thomas trottait, pensif, la tête plongée au creux de son estomac et le dos arrondi comme un sac de blé, lorsqu’une haleine du vent qui lui venait à la face lui apporta les sons brisés d’une voix humaine et lui fit relever des yeux méfiants. Il les tourna autour de lui, mais, de près ni de loin, il ne vit que la lande, fuyante à l’œil, qui poudroyait. Tout esprit fort que fût maître Le Hardouey, ces sons humains sans personne, dans ces landages ouverts aux chimères et aux monstres de l’imagination populaire, produisirent sur ses sens un effet singulier et nouveau, et le disposèrent sans nul doute à la scène inouïe qui allait suivre. Plus il s’avançait, plus la voix s’élevait du sentier que suivait son cheval aux oreilles frissonnantes, qui titillaient et dansaient en vis-à-vis des nerfs tendus du cavalier.

La pourpre éclatante du couchant devenait d’un rouge plus âpre, et plus cette rouge lumière brunissait, plus la voix montait et devenait distincte, comme si de tels sons sortissent de terre, de même que les feux follets sortent des marais vers le soir. Ces sons, du reste, étaient plus tristes qu’effrayants. Le Hardouey les avait maintes fois entendus traîner aux lèvres des fileuses. C’était une complainte de vagabond, dont il distingua les couplets suivants :

Nous étions plus d’cinq cents gueux,
Tous les cinq cents d’une bande,
C’est moi qui suis l’plus heureux,
Car c’est moi qui les commande !