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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/207

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— Buttez-vous là et guettez tout de même, — fit le pâtre, — ne vous lassez… »

Et les autres bergers, attirés par le charme, s’accroupirent auprès de leur compagnon, et tous les trois, avec maître Thomas, qui tenait passée à son bras la bride de sa jument, laquelle reculait et s’effarait, ils eurent bientôt rapproché leurs têtes au-dessus du miroir, plongé dans l’ombre de leurs grands chapeaux.

« Guettez toujours », — disait le pâtre.

Et il se mit à prononcer tout bas des mots étranges, inconnus à maître Thomas Le Hardouey, qui tremblait à claquer des dents, d’impatience, de curiosité, et, malgré ses muscles et son dédain grossier de toute croyance, d’une espèce de peur surnaturelle.

« Véy’ous quéque chose à cette heure ? — dit le berger.

— Vère ! — répondit Le Hardouey, immobile d’attention, appréhendé, — je commence…

— Dites ce que vous véyez, — reprit le pâtre.

— Ah ! je vois… je vois comme une salle, — dit le gros propriétaire du Clos, — une salle que je ne connais pas… Tiens ! il y fait le jour rouge qu’il faisait tout à l’heure dans la lande et qui n’y est plus.

— Guettez toujours, — reprenait monotonement le pâtre.

— Ah ! maintenant, — dit Le Hardouey après un silence, — je vois du monde dans la salle. Ils sont deux et accotés à la cheminée. Mais ils ont le dos tourné, et le jour rouge qui éclairait la salle vient de mourir.