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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/223

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filais mon coutet sur c’te pierre, je m’ disais : « V’là de l’iau qui sent la mort et qui gâtera mon pain », et v’là pourqué vous m’avez veu l’essuyer si fort dans les herbes et le piquer dans la terre, car la terre est bienfaisante, quand vous avez dévalé le pré. Créyez-mè si vous v’lez, mère Ingou, — fit-il en étendant son bâton vers le lavoir avec une assurance enflammée, — mais je suis sûr comme de ma vie qu’il y a quéque chose de mort, bête ou personne, qui commence de rouir dans cette iau. »

Et se courbant, appuyé sur sa gaule, vers la nappe limpide, il prit de cette eau diaphane dans sa main, et l’approchant du visage de la mère Ingou :

« Les vieilles gens sont têtues ! — fit-il avec ironie. — Mais, si vous n’êtes pas punaise, jugez vous-même, vieille mule, si cette iau ne sent pas à mâ.

— Allons donc ! — dit la mère Ingou, — c’est ta main qui sent à mâ, pâtre ! ce n’est pas l’iau. »

Et, relevant ses cottes, elle s’agenouilla près de la pierre polie et elle fit rouler dans l’eau une partie du linge qu’elle avait apporté sur son dos ; puis, se retournant :

« Eh bien ! — dit-elle à Simone et à sa fillette, — v’ zêtes donc figées ? À l’ouvrage, Petiote ! Sur mon salut, mère Mahé, j’vous créyais pus d’ cœur que cha. »

Et elle se plongea les bras et les mains dans cette eau fraîche comme de la rosée et qui retomba, en mille rais d’argent, autour de son battoir.

Simone Mahé et la petite fille s’approchèrent et se décidèrent à suivre son exemple, mais elles ressem-