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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/233

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bée, courbée, jusqu’au point du jour, quand la petite Ingou tourna le loquet et qu’elle ouvrit brusquement la porte, comme si elle avait été poursuivie :

« Quel bruit tu fais, — dit-elle, — Petiote ! — Et, voyant le visage de l’enfant, elle sentit que l’anxiété de sa nuit se changeait en affreuse certitude.

— Ah ! il y a du malheur dans Blanchelande ! — fit-elle.

— Il y a — dit la petite Ingou d’une voix saccadée par l’émotion et par la course — que maîtresse Le Hardouey est morte, et que je v’nons de la trouver au fond du lavoir. »

Un cri qui n’était pas sénile, un cri de lionne qui se réveillait, sortit de cette poitrine brisée et s’interrompit sur les lèvres de la Clotte. Son buste incliné sur ses genoux tomba, renversé en arrière, sur le lit, et la tête s’enroula dans les couvertures, comme si une hache invisible l’avait abattue d’un seul coup.

« Jésus-Marie ! » s’écria l’enfant avec une angoisse effarée qui fuyait la mort et qui semblait la retrouver.

Et elle s’approcha du lit d’où chaque jour elle aidait la paralytique à descendre : et elle la vit, l’œil fixe, les tempes blêmes, la ligne courbe de ses lèvres impassibles et hautaines tremblante, tremblante comme quand le sanglot qu’on dévore s’entasse dans nos cœurs et va en sortir.

« Tenez ! tenez ! mère Clotte, — dit l’enfant, — écoutez : voici l’agonie ! »

Et, en effet, le vent qui venait du côté de Blanchelande apportait les sons de la cloche qui sonnait le