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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/239

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devaient rechercher longtemps les causes. De ce flot de curieux écoulé, il ne demeura auprès du cadavre que le grand valet du Clos, chargé de veiller sur le corps de la morte jusqu’à l’arrivée du médecin et du juge de paix, et Nônon Cocouan, qui, d’un mouvement spontané, s’était proposée pour cette pieuse garde. Toute cette histoire l’a dit assez : Nônon avait toujours été dévouée à Jeanne. Dans ces derniers temps, elle l’avait vaillamment défendue contre tous ceux qui l’accusaient d’avoir oublié la sagesse de sa vie « dans des hantises de perdition », et on entendait par là, à Blanchelande, ses visites à la Clotte et ses obscures relations avec l’abbé de la Croix-Jugan. Nônon, plus que personne, excepté la Clotte peut-être, était touchée de cette mort subite, et elle l’était deux fois, car les cœurs frappés se devinent. Tout en défendant Jeanne, et quoiqu’elle n’eût jamais reçu de confidence, Nônon avait reconnu l’amour qui souffre, parce qu’autrefois, dans sa jeunesse, elle aussi l’avait éprouvé. La pauvre fille s’était prise pour Jeanne-Madelaine d’un véritable fanatisme de pitié silencieuse. Un grand respect l’avait empêchée de lui en donner de ces muets et expressifs témoignages qui pressent le cœur mais sans le blesser. Or, aujourd’hui qu’elle le pouvait, elle le faisait avec une ardeur éplorée. Dévote comme elle l’était, elle croyait que Jeanne-Madelaine la voyait de là-haut auprès de sa dépouille sur la terre. Être vu de ceux qu’on a aimés dans le silence et à qui on n’a pas pu dire dans la vie comme on les aimait, ah ! c’est là un de ces apaisements célestes qui vengent de toutes les impossibili-