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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/24

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couleur de filasse sur sa tête, d’où il s’était détaché pendant que je lui parlais. Prévenue sans doute par la sauvage petite créature, une vieille femme, verte et rugueuse comme un bâton de houx durci au feu (et pour elle ç’avait été peut-être le feu de l’adversité), vint au seuil et me demanda qué que j’voulais, d’une voix traînante et hargneuse.

Et moi, comme je me savais en Normandie, le pays de la terre où l’on entend le mieux les choses de la vie pratique et où la politique des intérêts domine tout à tous les niveaux, je lui dis de donner une bonne mesure d’avoine à mon cheval et de l’arroser d’une chopine de cidre, et qu’après je lui expliquerais mieux ce que j’avais à lui demander. La vieille femme obéit avec la vitesse de l’intérêt excité. Sa figure rechignée et morne se mit à reluire comme un des gros sous qu’elle allait gagner. Elle apporta l’avoine dans une espèce d’auge en bois, montée sur trois pieds boiteux ; mais elle ne comprit pas que le cidre, fait pour un chrétian, fût la bâisson d’oune animâ. Aussi fus-je obligé de lui répéter l’ordre de m’apporter la chopine que j’avais demandée, et je la versai sur l’avoine qui remplissait la mangeoire, à son grand scandale apparemment, car elle fit claquer l’une contre l’autre ses deux mains larges et brunes, comme deux battoirs qui auraient longtemps séjourné dans l’eau d’un fossé, et murmura je ne sais quoi dans un patois dont l’obscurité cachait peut-être l’insolence.

« Eh bien ! la mère, — lui dis-je en regardant manger mon cheval, — vous allez me dire à présent