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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/241

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dans un corset de bure une âme patricienne longtemps contenue, longtemps surmontée, et qui tout à coup, éclatant à l’approche d’une âme de sa race, avait tué son bonheur et brisé sa vie !

Ce fut vers le soir qu’eut lieu la levée du cadavre. Après l’accomplissement de cet acte légal, le juge de paix ordonna au serviteur qui l’accompagnait et au grand valet du Clos de transporter Jeanne dans la maison la plus voisine de la prairie. L’enterrement de maîtresse Le Hardouey était fixé pour le lendemain, à l’église paroissiale de Blanchelande. Dans l’incertitude où l’on était sur le genre de mort de Jeanne, la charité du bon curé Caillemer n’eut point à s’affliger d’avoir à appliquer cette sévère et profonde loi canonique qui refuse la sépulture chrétienne à toute personne morte d’un suicide et sans repentance. Il estimait beaucoup Jeanne-Madelaine, qu’il appelait la nourrice de ses pauvres, et il aurait eu le cœur déchiré de ne pas bénir sa poussière. Dieu sauva donc à la tendresse du pasteur cette rude épreuve, et Jeanne, justiciable du mystère de sa mort à Dieu seul, put être déposée en terre sainte.

On l’y porta au milieu d’un concours immense de gens venus des paroisses voisines de Lithaire et de Neufmesnil. Les cloches de Blanchelande, qui, selon la vieille coutume normande, avaient sonné tout le jour et la veille, avaient appris à ces campagnes que « quelqu’un de riche » était mort. Les informations allant de bouche en bouche, on avait bientôt su que c’était maîtresse Le Hardouey. En Normandie, dans ma jeunesse encore, de toutes les cérémonies qui