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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/253

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côté de la Clotte, au risque de blesser ceux qui étaient rangés près d’elle. La seconde pierre, qui avait brisé sa poitrine, l’avait roulée dans la poussière, abattue aux pieds d’Augé, mais non évanouie. Impatient de se mêler à ce martyre, mais trop près d’elle pour la lapider, le boucher poussa du pied ce corps terrassé.

Alors, comme la tête coupée de Charlotte Corday qui rouvrit les yeux quand le soufflet du bourreau souilla sa joue virginale, la Clotte rouvrit ses yeux pleins de sang à l’outrage d’Augé, et d’une voix défaillante :

« Augé, — dit-elle, — je vais mourir ; mais je te pardonne si tu veux me traîner jusqu’à la fosse de Mlle de Feuardent et m’y jeter avec elle, pour que la vassale dorme avec les maîtres qu’elle a tant aimés !

I’ g’n’a pus de maîtres ni de demoiselles de Feuardent, — répondit Augé, redevenu Bleu tout à coup et brûlant des passions de son père. — Non ! tu ne seras pas enterrée avec celle que tu as envoûtée par tes sortilèges, fille maudite du diable, et je te donnerai à mes chiens ! »

Et il la refrappa de son soulier ferré au-dessus du cœur. Puis, avec une voix éclatante :

« La v’là écrasée dans son venin, la vipère ! — fit-il. — Allons, garçons ! qui a une claie que je puissions traîner sa carcasse dessus ? »

La question glissa de bouche en bouche, et soudain, avec cette électricité qui est plus rapide et encore plus incompréhensible que la foudre, des centaines de bras rapportèrent pour réponse, en la