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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/263

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tir de la Révolution, dut s’inquiéter et sévir. Les meurtriers de la Clotte furent poursuivis. Augé, qui fut jugé selon les lois du temps, passa plusieurs mois dans les prisons de Coutances. Quant à ses complices, ils étaient trop nombreux pour pouvoir être poursuivis. La législation était énervée, et, en frappant sur une trop grande surface, on aurait craint de rallumer une guerre dans un pays dont on n’était pas sûr. Quant à la mort de Jeanne Le Hardouey, on la considéra comme un suicide. Nulle charge, en effet, au sens précis de la loi, ne s’élevait contre personne. La seule chose qui, dans le mystère profond de la mort de Jeanne, ressemblât à une présomption, fut la disparition de maître Thomas Le Hardouey. S’il était entièrement innocent du meurtre de sa femme, pourquoi avait-il quitté si soudainement un pays où il avait de gros biens et sa bonne terre du Clos, l’admiration et la jalousie des autres cultivateurs du Cotentin ?

Était-il mort ? S’il l’était, pourquoi sa famille n’avait-elle pas entendu parler de son décès ? S’il vivait, et si réellement, coupable ou non, il avait craint d’être inquiété sur le meurtre de sa femme, les jours et les mois s’accumulant les uns sur les autres avec l’oubli à leur suite et les distractions qui forment le train de la vie et empêchent les hommes de penser longtemps à la même chose, pourquoi ne reparaissait-il pas ? Plusieurs disaient l’avoir vu aux îles, à l’île d’Aurigny et à Guernesey, mais ils n’avaient pas osé lui parler. Était-ce une vérité ? Était-ce une méprise, ou une vanterie ? car il est des gens qui ont toujours vu ce