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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/277

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tait. Elle prononce alors avec sa majesté ordinaire : « Malheur à celui qui se scandalise ! » et résiste à la furie des langues et à leur confusion. Telle avait été sa conduite avec l’abbé de la Croix-Jugan. Elle ne l’avait pas tiré de Blanchelande pour l’envoyer sur un autre point du diocèse où il n’eût scandalisé personne, disaient les gens à sagesse mondaine qui ne comprennent rien aux profondes pratiques de l’Église. Calme, imperturbable, informée, elle avait, au bout de ces trois ans, remis à l’abbé ses pleins pouvoirs de prêtre, et c’était lui qui devait chanter la grand’messe à Pâques dans l’église de Blanchelande, après une si longue interruption dans l’exercice de son ministère sacré.

Quand on sut cette nouvelle dans le pays, on se promit bien d’assister à cette messe célébrée par le moine chouan, dont les blessures et la vie, mal éclairée des reflets d’incendie d’une guerre éteinte, avaient passionné la contrée d’une curiosité mêlée d’effroi. L’évêque de Coutances serait venu lui-même célébrer sa messe épiscopale à Blanchelande, qu’il n’eût point excité de curiosité comparable à celle que l’abbé de la Croix-Jugan inspirait. Taillé lui-même pour être évêque ; de nom, de caractère et de capacité, disait-on, à s’élever aux premiers rangs dans l’Église, il ne resterait pas, sans doute, à Blanchelande. L’imagination populaire couvrait déjà du manteau de pourpre du cardinalat cette arrogante épaule qui brisait enfin la cagoule noire de la pénitence, comme le mouvement puissant d’un lion crève les toiles insultantes de fragilité dans lesquelles on le croyait pris. La com-