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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/28

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ce jour-là. La boue souillait aussi à une grande hauteur la massue en pied de frêne qu’il tenait à la main, et qu’une lanière de cuir, formant fouet, fixait à son solide poignet, dans des enroulements multipliés.

« J’ n’ai jamais — me dit-il avec l’accent de son pays et une politesse simple et cordiale — refusé un bon compagnon quand Dieu l’a envoyé sur ma route. » — Il souleva légèrement son chapeau et le remit sur sa forte tête brune, dont les cheveux épais, droits, coupés carrément et marqués des coups de ciseaux du frater qui les avait hachés d’une main inhabile, tombaient jusque sur ses épaules, autour d’un cou herculéen, lié à peine par une cravate qui ne faisait qu’un tour, à la manière des matelots. — « La vieille mère Giguet dit, monsieur, que vous allez à la Haie-du-Puits, où je vais aussi pour la foire de demain. Comme j’ n’ai pas de bœufs à conduire, car vous avez un cheval trop ardent pour bien suivre tranquillement un troupeau de bœufs, j’ pouvons, si vous le trouvez bon, faire route ensemble et nous en aller jasant, botte à botte, comme d’honnêtes gens, et, sauf votre respect, une paire d’amis. La Blanche n’est pas tellement lassée, la pauvre bête, qu’elle ne puisse bien faire la partie de votre cheval. J’ la connais. Elle a de l’amour-propre comme une personne. Auprès de votre cheval, elle va joliment renifler ! La lande est mauvaise, et, si c’est comme hier soir, dans les landes de Muneville et de Montsurvent, le brouillard nous prendra bien avant que nous n’en soyons sortis. M’est avis qu’un étranger, comme vous paraissez l’être, ne serait point capable de se tirer tout seul