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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/288

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Alors ce curé de Varanguebec, qui était un homme puissant, un robuste prêtre, commanda le silence, d’une voix tonnante, et, chose étrange, due, sans nul doute, à l’impression d’un tel spectacle, il l’obtint. Puis il dépouilla sa dalmatique, et n’ayant plus que son aube, tachée du sang qui avait jailli de tous côtés sur l’autel, il monta en chaire et dit :

« Mes frères, l’église est profanée. L’abbé de la Croix-Jugan vient d’être assassiné en offrant le divin sacrifice. Nous allons emporter son corps au presbytère et nous en ferons l’inhumation à la paroisse de Neufmesnil. L’église de Blanchelande va rester fermée jusqu’au moment où Notre Seigneur de Coutances viendra solennellement la rouvrir et la purifier. Lui seul, de sa droite épiscopale, et non pas nous, humble prêtre, peut laver ici la place d’un détestable sacrilège. Allez, mes frères, rentrez dans vos maisons, consternés et recueillis. Les jugements de Dieu sont terribles, et ses voies cachées. Allez, la messe est dite : Ite, missa est ! »

Et il descendit de la chaire. Le silence le plus profond continua de régner dans l’assemblée, qui s’écoula, mais avec lenteur. Les plus curieux restèrent à voir les prêtres éteindre les flambeaux et voiler le saint tabernacle. On éteignit jusqu’à la lampe du chœur, cette lampe qui brûlait nuit et jour, image de l’Adoration perpétuelle. Puis les prêtres enlevèrent sur leurs bras entrelacés le corps de l’abbé de la Croix-Jugan, dans sa chasuble sanglante, en récitant à voix basse le De profundis. Resté le dernier sur le seuil de l’église déserte, le curé Caillemer en ferma les portes, comme