Aller au contenu

Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était plus, cette amitié ou cette habitude d’un homme de venir s’assoir régulièrement à la même place, et qui frappait de la contagion de son silence une femme assez hautaine pour que rien jamais pût beaucoup influer sur elle, oui, en vérité, tout cela fut comme le dernier coup d’ongle du peintre qui m’acheva et me fit tourner cette figure de l’abbé de la Croix-Jugan, de cet être taillé pour terrasser l’imagination des autres et compter parmi ces individualités exceptionnelles qui peuvent ne pas trouver leur cadre dans l’histoire écrite, mais qui le retrouvent dans l’histoire qui ne s’écrit pas, car l’Histoire a ses rapsodes comme la Poésie. Homères cachés et collectifs, qui s’en vont semant leur légende dans l’esprit des foules ! Les générations qui se succèdent viennent pendant longtemps brouter ce cytise merveilleux d’une lèvre naïve et ravie, jusqu’à l’heure où la dernière feuille est emportée par la dernière mémoire, et où l’oubli s’empare à jamais de tout ce qui fut poétique et grand parmi les hommes.