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Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/68

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but pour se désaltérer, certes, il était bien beau, et l’Histoire n’a pas oublié ce grand et farouche spectacle ; mais peut-être était-il moins imposant que ce Chouan solitaire, dont l’ingrate et ignorante Histoire ne parlera pas, et qui, avant de mourir, mâchait et avalait les dépêches trempées du sang de sa poitrine pour mieux les cacher en les ensevelissant avec lui.

Et lorsqu’il eut rempli ce devoir d’une fidélité prévoyante, quand du parchemin dévoré il ne lui resta plus entre les doigts que le large cachet de cire pourpre qui le fermait et qu’il avait respecté, une idée, triste comme un espoir fini, traversa son âme intrépide. Chose étrange et touchante à la fois ! on le vit contempler rêveusement, et avec l’adoration mouillée de pleurs d’un amour sans bornes, ce cachet à la profonde empreinte, comme s’il eût voulu graver un peu plus avant dans son âme le portrait d’une maîtresse dont il eût été idolâtre. Qu’y a-t-il de plus émouvant que ces lions troublés, que ces larmes tombées de leurs yeux fiers qui vont, roulant sur leurs crinières, comme la rosée des nuits sur la toison de Gédéon ! Et pourtant il n’y avait point de portrait sur la cire figée. Il n’y avait que l’écusson qui scellait d’ordinaire toutes les dépêches de la maison de Bourbon. C’était tout simplement l’écusson de la monarchie, les trois fleurs de lys, belles comme des fers de lance, dont la France avait été couronnée tant de siècles, et dont son front révolté ne voulait plus ! Aux yeux de ce Chouan, un tel signe était le saint emblème de la cause pour laquelle il avait vainement combattu. Il l’embrassa donc à plusieurs reprises,