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Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/245

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de la poésie qui n’est jamais que le cri, l’inimitable cri de la personnalité ?

Je comprends, quelle qu’elle soit, la poésie d’un homme. Je sais ce que c’est que la poésie de Byron ou de Crabbe, par exemple, mais je ne sais pas, ou plutôt je sais trop ce que c’est que la poésie antique, — la poésie orientale, — la poésie indienne, obtenues à l’aide du procédé moderne par des hommes qui ne sont ni des Anciens, ni des Orientaux, ni des Indiens, et qui jouent littérairement d’une façon plus ou moins sérieuse, c’est-à-dire plus ou moins comique, la scène de M. Jourdain, mamamouchi. Triste et impuissante mascarade, qui n’est justifiée ni par l’exemple de Goëthe vieillissant et chez qui la forte inspiration tarissait, ni par celui de M. Hugo, qui n’avait pas besoin de vieillir comme Goëthe pour défaillir encore plus que lui… La poésie en masque ne doit pas plus inspirer de respect que l’histoire en masque, car on l’y met aussi, l’histoire. Nous avons, pour le moment, des historiens druides, comme nous avons des poètes païens ou indiens qui chantent Bhagavat ou Zeus en français du XIXe siècle, et c’est la même loi qui donne ces messieurs. Quand on n’a pas d’idées à soi et qu’on a le cœur vide, des hommes faits pour rester d’honnêtes lettrés toute leur vie ramassent dans la poussière de toutes les civilisations des détritus d’idées sur lesquelles le monde entier a passé, et ils se bâtissent avec cela, qui des poésies, qui des systèmes d’histoire, en se croyant très-candidement des inventeurs.