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Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/160

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moyen, c’est de faire pénétrer tout doucement la fatale lumière dans les yeux de la fille aveugle, — puis, ses yeux dessillés, de la jeter entre son père et Dieu ! »

Seulement, comme elle pouvait mourir d’un coup à la première goutte de lumière, si prudemment qu’elle lui fût versée, il se mit à prier le divin Oculiste, qui opérait les aveugles pendant son passage sur la terre, de l’assister en ce besoin terrible, et le pria comme il savait prier. Croyant à la force absolue de la prière qui peut violer la toute-puissance divine, il se dévoua mentalement à cette œuvre d’avertissement et de salut…

Œuvre inouïe de difficulté, de précaution, de lenteur, de tendresse toujours alarmée, de tact à chaque instant épouvanté ! Pauvre grand cœur, pris entre ces deux pierres coupantes, — la collision de deux devoirs, — il crut pouvoir préserver la créature et empêcher l’outrage au Créateur ; concilier la charité qui épargne la souffrance et sauve la vie et le respect adorateur, qui ne saurait souffrir que Dieu soit si horriblement offensé ! C’était entreprendre là, — et il fallait l’entreprendre ! — une tâche ingrate, douloureuse, impossible, dans laquelle il serait obligé de s’interrompre et de se reprendre bien des fois, comme le chirurgien qui verrait le péril et qui resterait, son scalpel en l’air,