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Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/289

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son autre bras et serra, avec les deux, sur son cœur, cette enfant qui était bien morte, et avec les dernières avidités de la tendresse, qui sait que même cette dépouille insensible, ce visage qui bleuit, cette forme reconnaissable encore, tout à l’heure elle ne l’aura plus ! il la couvrit de ces baisers fous qui sont les derniers, — de ces baisers qui, si le corps ne sent plus rien, doivent atteindre l’âme — où qu’elle soit — au fond de l’enfer ou du ciel !!

Néel et la Malgaigne regardaient Sombreval en silence, — saisis par ce spectacle inouï d’un père qui venait de déterrer sa fille pour lui prodiguer les baisers qui avaient manqué à son agonie… Sombreval labourait convulsivement de son front, de ses lèvres, de son visage tout entier, le cadavre qu’il tenait et levait dans ses bras. Il plongeait sa tête désolée au giron de cette chère fille morte, — avec la furie du sentiment qui sait son impuissance, et c’est ainsi qu’il étouffait ces cris involontaires qui nous sortent de la poitrine, dans les grandes peines, sans que nous ayons la conscience de les avoir poussés ! Puis, fauché par la douleur, il s’affaissa à mi-corps dans les hautes herbes du cimetière, et peut-être cette grande organisation aurait-elle éclaté sous l’avalanche des tortures que Dieu faisait tomber dans son cerveau et dans son cœur, quand, subitement, des pleurs qui