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Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/172

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pêcher de songer aux infanticides qui, peut-être dans ce moment, faisaient, dans l’univers, ce qu’elle faisait nuitamment en présence de ce ciel constellé… « Je l’enterre comme si je l’avais tué », pensait-elle — et une histoire surtout, une histoire atroce qu’elle avait autrefois entendu raconter, lui revenait à la mémoire. C’était celle d’une jeune servante de dix-sept ans, qui s’était elle-même accouchée, une nuit, d’un enfant qu’elle avait étranglé et que, le matin (un dimanche, et elle avait l’habitude d’aller ce jour-là à la messe), elle mit dans la poche de sa jupe et garda et porta sur sa cuisse tout le temps de la messe, pour le jeter, en revenant, sous l’arche d’un pont solitaire qui se trouvait sur son chemin et par où personne ne passait… Madame de Ferjol était poursuivie, persécutée par le souvenir de cette abominable histoire. Frémissante et glacée comme si elle avait été coupable, elle piétina et tassa longtemps la terre amoncelée sur… ce qui aurait pu être son petit-fils, et quand elle fut sûre qu’il n’y avait plus là trace de tombe, elle remonta toute pâle de ce qui ressemblait à un crime,