Aller au contenu

Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
L’APPEL AU SOLDAT

trop souvent la coutume, mais il use, avec autant de psychologie que faisait le vieil Ulysse, des hommes et des circonstances pour l’influence de son œuvre.

« Comme nous étions à table et qu’avec cette même sagesse et une joyeuse bonne grâce, ses paroles et ses manières continuaient à créer cette atmosphère de haute dignité et de simplicité qu’on trouve par exemple dans le chant VI de l’Odyssée, — tu sais, l’épisode divin de Nausicaa, — je lui dis en lui tendant les mains :

« — Je suis heureux d’être ici.

« En homme qui connaît sa puissance, il m’a répondu :

« — N’est-ce pas qu’on s’y sent libre ?

« Écoute, Sturel, ayant fait usage de bien des libertés, on constate que la meilleure et la seule, c’est précisément cette aisance dont jouit celui qui resserre volontairement ses liens naturels avec quelque région, avec un groupe humain et avec les emplois de son état, c’est-à-dire quand, bannissant les inquiétudes de notre imagination nomade, nous acceptons les conditions de notre développement. Indépendance et discipline, voilà quelle formule je me propose depuis Maillane.

« La conversation de table se prolongea fort avant dans l’après-midi. Mistral me parla de son journal, l’Aioli, qu’avec le concours de ses amis il publie à Avignon, Il plaçait au-dessus de tous son regretté frère d’armes Roumanille, avec qui, dès 1846, il entreprit la renaissance provençale ; il me citait les meilleures épigrammes des luttes passées. Il m’indiqua ses projets pour l’accomplissement de son œuvre. Il a rassemblé tout ce qui flotte de particulier dans l’atmosphère de Provence pour en faire