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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/258

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LES DÉRACINÉS

tolérant, on se fournissait à soi-même une preuve d’humanité. Cet accord à les supporter mettait une sorte de déférence autour d’eux. Nul ne leur eût dit : « Tais-toi. »

D’ailleurs, Mouchefrin, toujours collé à Racadot, n’appréciait que l’intelligence de Renaudin qui gagne trois cents francs par mois, et il ne se cachait pas de mépriser Sturel, Rœmerspacher, Suret-Lefort et particulièrement Saint-Phlin, qu’il appelait « ce bon Monsieur Gallant ».

Racadot, avec son regard en dessous, sa mauvaise barbe semée de boutons et sa politesse obséquieuse, imposait comme un hercule, et comme un notaire : — il avait le cerveau madré de ces avoués qui vont au bagne ou deviennent de grands parlementaires.

Il mit une sorte de bonhomie à ne pas abuser de l’impression produite, et, posant la main sur l’épaule de Sturel un peu déconcerté, il fit signe qu’il voulait parler ; ce fut le moment le plus important de cette après-midi.

— Moi, dit-il, je me charge de vous donner le premier moyen d’action.

On murmura d’étonnement. Il jouit de son effet, puis :

— Théoriquement, le moyen césarien, c’est l’armée. Bien qu’elle soit suspecte, très surveillée, très amoindrie, transformée en régiments de fonctionnaires, un de ses chefs saurait encore jouer un rôle. Reste un second moyen, la presse. Ce qu’il vous faut, en somme, c’est grouper autour de vous quelques centaines de fidèles et donner votre mesure aux puissants. Par un journal vous tâteriez l’opinion, vous