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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/322

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LES DÉRACINÉS

Capable autant que personne des voluptés de la rêverie et de l’isolement contemplatif, auxquelles s’abandonne Sturel, il restreint chaque jour avec une étrange dureté envers soi-même la part de l’imagination et de la sensibilité. Ce n’est point ascétisme, c’est plutôt instinct de la conservation : il faut s’interdire de mettre perpétuellement en discussion ses motifs de vivre.

Il répète volontiers un aphorisme qu’il a recueilli d’un de ses maîtres préférés, à l’Ecole des Hautes Études. Parlant des savants qui, enfermés dans un étroit domaine, trouvent chacun des parcelles de vérité et créent les sciences, Jules Soury a dit : « Avec plus d’étendue d’esprit, ils auraient été des critiques et non des inventeurs. » Que Rœmerspacher approuve cette phrase où l’on nous fait entendre comment les intelligences créatrices sont enfermées dans leur tâche et dominées par une part d’illusion, un esprit perspicace en augurera favorablement pour le concours qu’il peut donner à Racadot. Sa clairvoyance philosophique pourra fournir une force de bon sens, assez analogue au cynisme pratique qu’apporte un gros brasseur dans le maniement des hommes. Les chimistes ont de ces façons froides et objectives de juger les faits, les caractères et les situations.

Au bref, pour avoir confiance dans ce collaborateur, il suffit de voir comment, sans vanité ni timidité, en garçon qui sait ce qu’il dit et qui est prêt à s’en expliquer, il va commencer sa lecture… Si les cinq autres le valent, la Léontine a sans doute raison qui, pour passer le temps, exilée dans la pièce voisine, annonce déjà le succès à Verdun. Sur un beau papier, avec en-tête de la Vraie Repu-